Programme Interdisciplinaire d'Etudes Catholiques

Samedi 10 septembre 2005 La Liberté p. 12 Par Pascal Fleury

«Les chrétiens d'après Vatican II sont peut-être plus convaincus, mais ils sont plus marginaux»

40 ans du concile Quel a été le retentissement de Vatican II dans la société? Quarante ans après le concile, le professeur Francis Python fait le point, en préambule d'un colloque d'historiens à Fribourg.

Il y a quarante ans, le 8 décembre 1965, s'achevait le Concile Vatican II, après quatre années d'un intense travail de réforme de l'Eglise catholique. Alors qu'à la fin septembre, à Rome, le Conseil des conférences épiscopales européennes, issu de Vatican II, s'apprête à marquer cet anniversaire en assemblée plénière, la semaine prochaine, à l'Université de Fribourg, un colloque d'historiens se penchera sur les catholiques dans la société civile après Vatican II. Rencontre avec son organisateur, Francis Python, professeur d'histoire contemporaine.

Votre colloque s'intitule «Feu la chrétienté?» Faut-il y voir une provocation ou le constat d'un certain échec de la réforme de l'Eglise, 40 ans après la fin du concile?

Francis Python: Je suis parti d'un essai du philosophe français Emmanuel Mounier, «Feu la chrétienté», de 1950. Mais lui n'avait pas mis de point d'interrogation. Pour lui, c'était un constat: l'Eglise devait sortir de son enveloppe historique traditionnelle, elle était beaucoup trop compromise avec le «désordre établi», les chrétiens devaient se libérer du carcan de la chrétienté.

En mettant un point d'interrogation, je fais un clin d'oeil à la pensée de Mounier: le concile n'a-t-il pas été une sorte de confirmation de ce que suggérait le philosophe? En 40 ans, les solutions de Vatican II n'ont-elles pas conduit l'Eglise à abandonner sa «posture de pouvoir»? N'y a-t-il pas, alors, une nostalgie d'une chrétienté? Ou avons-nous trouvé un autre mode de présence, aussi pertinent? Vatican II a démarré dans une vague d'optimisme extraordinaire. On allait à la rencontre du monde, on sortait de nos étroitesses confessionnelles et politiques, on essayait d'être le levain en discernant «le sens des événements». Ce que l'on n'a peut-être pas vu, c'est que le monde changeait aussi.

Les chrétiens se sont trouvés en porte-à-faux avec cet optimisme. Parce que le monde est très dur, générant violences, injustices et inégalités. L'Eglise, en voulant se «désétablir», a finalement conduit à un malaise. Aujourd'hui, les chrétiens sont peut-être plus convaincus, mais ils sont plus marginaux. Je pense toutefois qu'il est imprudent de parler d'échec de Vatican II. Chaque génération a sa vision des choses. Actuellement, c'est une perception plus pessimiste qui a cours, c'est vrai. Mais elle fait contrepoids à l'optimisme qui a régné jusqu'au milieu des années 1970.

class="i"Pour de nombreux fidèles, Vatican II a été d'abord «le concile qui a changé la messe». Ce renouveau liturgique a connu un beau succès, mais il n'a pas empêché les églises de se vider. Que s'est-il passé?

On est là au coeur d'un ancien malaise. Avec l'aggiornamento, on a voulu rendre une liturgie plus proche des réalités vécues par les fidèles: abandon du latin, rapprochement du prêtre des fidèles, plus grande place aux laïcs. Maintenant, on arrive à un constat d'églises vides, en tout cas en Europe, avec une forte vague de sécularisation.

Je ne pense pas que le concile ait vidé les églises. C'est là la protestation des milieux traditionalistes. Il est clair qu'on n'a pas trouvé le moyen de retenir les fidèles. Peut-être que la forte pratique d'autrefois était déjà minée depuis un certain temps et ne tenait que par une sorte de béquille de pression sociale ou de conformisme.

Le balancier étant passé de l'autre côté, il y a eu peut-être aussi une erreur stratégique de pastorale, avec l'abandon du sens du rite et du mystère, ce que recherchent beaucoup de gens ailleurs dans les sectes ou d'autres mouvements. Avec une liturgie plus mondaine, plus rationnelle, l'Eglise a voulu aller davantage vers le monde, mais le monde s'est encore plus éloigné d'elle.

Quelles ont été les conséquences du Concile Vatican II, du point de vue de l'engagement politique?

L'Eglise s'était beaucoup appuyée sur les partis chrétiens. Ils avaient un certain succès, mobilisaient les foules, appuyaient les forces ecclésiales. Cette incarnation chrétienne dans la politique faisait toutefois déjà problème avant Vatican II. Avec le concile, on a essayé de sortir l'Eglise de ses implications politiques, parfois compromettantes.

En même temps, les chrétiens se sont répartis dans l'éventail des partis. Beaucoup se sont tournés vers le socialisme, pensant y trouver et y apporter un ferment évangélique. Assez rapidement, ils se sont épuisés. Ceux qui ont choisi les partis conservateurs ont été souvent manipulés par un discours social conservateur doublé d'un discours moral et économique beaucoup plus libéral. Ecartelés entre les tendances politiques, n'ayant plus leurs propres formations, les chrétiens ont finalement perdu de l'influence et ont été marginalisés.

La sécularisation de la société a aussi touché l'enseignement…

Avant Vatican II, l'Eglise avait un système scolaire concurrent ou complémentaire à celui de l'Etat où elle pouvait bien affirmer sa confessionnalité. L'Eglise se retirant des écoles et ne contrôlant plus la culture diffusée par les instituts de formation, elle s'est retrouvée marginalisée. Il y a là également un facteur de crise. On sait aujourd'hui que des intellectuels chrétiens, dans plusieurs de nos sociétés, sont sur la défensive, n'arrivent pas à se faire admettre dans les médias et les discussions.

On a peut-être aussi prêché une Eglise un peu trop désincarnée, qui affaiblit les positions. On le voit à propos des jeunes, et c'est tout à fait dans la logique consumériste du monde libéral. Les jeunes pratiquent peu parce qu'ils veulent que l'Eglise leur offre des messes attractives, et ce n'est pas tout à fait dans la philosophie de l'Eglise, pour qui la prière régulière n'est pas nécessairement un spectacle. Les réformes de Vatican II ont peut-être satisfait la première génération, mais ont de la peine avec les générations suivantes.

L'esprit d'ouverture et de respect qui a soufflé avec Vatican II a eu des répercussions importantes dans l'oecuménisme. C'est là un des grands succès du concile?

Avec les Eglises chrétiennes - orthodoxes et réformées - il y a eu un formidable dépassement d'étroitesse qui avait imprégné la culture catholique. Mais aussi avec les juifs: au concile a été faite une déclaration qui rompait avec l'antisémitisme liturgique. Et avec la liberté religieuse: on a reconnu qu'il y avait plusieurs cheminements légitimes. L'Eglise catholique a pris là un virage fondamental, même si, après, il y a eu des freins, des difficultés.

Cette ouverture est un point important, encore créatif maintenant. Le dialogue continue à plusieurs niveaux et est porteur d'espoir. Là, on rejoint Hans Küng, qui pense que la paix dans le monde ne peut se réaliser que s'il y a la paix entre les confessions et les religions.

«Feu la chrétienté?» en débat à Fribourg

Du jeudi 15 septembre au samedi 17 septembre se tiendra à l'Université de Fribourg un colloque sur le thème «Feu la chrétienté? - Les catholiques dans la société civile après Vatican II». Cette rencontre, ouverte à tous et gratuite, réunira une brochette de spécialistes suisses, français, italiens et canadiens, qui s'intéresseront à l'aspect sociétal, politique et civil du retentissement de Vatican II, ainsi qu'à la manière dont les catholiques sont présents au monde.

Parmi les intervenants, on nommera Alfred Dubach, sociologue à l'Institut d'étude pastorale de Saint-Gall, qui brossera un tableau des catholiques en Suisse à la fin du XXe siècle. Le Fribourgeois Philippe Chenaux, professeur à l'Université Sapientia à Rome et spécialiste de Maritain, parlera des catholiques et du communisme après Vatican II. Jacqueline Lalouette, professeure d'histoire (Paris XIII), reviendra sur le Concile Vatican II vu par la presse anticléricale. Le professeur français Denis Pelletier (Lyon II), qui a écrit, entre autres, sur la crise du catholicisme français, s'exprimera ici sur la laïcité et la sécularisation. En outre, Jean Boissonnat (Nantes), Jean-Yves Calvez (Paris) et Patrick De Laubier (Genève) débattront en table ronde des spécificités de l'enseignement social chrétien et de son évolution de 1965 à aujourd'hui.

Ce colloque s'inscrit dans le cadre du Programme interdisciplinaire d'études catholique (PIEC) de l'Université de Fribourg. «Il s'agit d'un rassemblement d'enseignants d'université qui, dans plusieurs disciplines, essaient d'analyser et de cerner le fait religieux chrétien et plus précisément catholique, dans la culture, dans la société, dans le monde», explique le professeur Francis Python, organisateur du colloque. PFY

Colloque «Feu la chrétienté?», du 15 au 17 septembre 2005, Université de Fribourg, Kinderstube, salle Laure Dupraz.

Nouveau concile?

L'Eglise catholique est en crise en Occident: peu de vocations, de pratiquants… Un nouveau concile s'impose-t-il pour «relancer la machine»?

Francis Python: Les conciles sont des moments forts où l'Eglise fait un retour sur elle-même et cherche une nouvelle voie. Pour moi, les ressources de Vatican II ne sont pas épuisées: il y a encore de la créativité à tirer des textes conciliaires. Evidemment, l'interprétation des textes change avec les générations. Il serait bon qu'on puisse lancer un nouveau concile, puisque la génération conciliaire n'est plus aux commandes. Cela pourrait être le moment opportun. Je pense toutefois qu'il faudra attendre. L'Eglise est très divisée concernant de grandes réformes comme le mariage des prêtres ou l'ordination des femmes. Elle n'est pas tout à fait mûre pour cela. Elle se diviserait très fortement sur des sujets pareils. PFY

Du communisme à la société libérale

Parmi d'autres thèmes, la question de l'évolution de l'enseignement social chrétien, depuis Vatican II, sera soulevée lors du colloque fribourgeois. «L'enseignement social chrétien est multiple», rappelle Francis Python. «Il a souvent été confondu avec les grands messages des encycliques sociales. Ces dernières révèlent une grande cohérence de l'Eglise à travers les décennies. Des canaux de diffusion, des mouvements, des partis, des syndicats, essayaient de mettre en pratique ces grandes orientations. Le concile a été la confirmation de cet enseignement social chrétien mais, curieusement, on a remarqué que cet enseignement s'était banalisé et avait perdu de sa force d'attraction.»

L'enseignement social chrétien avait été forgé surtout pour répondre à la question sociale provoquée par l'industrialisation et la montée du socialisme. «On a l'impression que la chute du communisme l'a privé d'adversaire», constate le professeur.

L'autre adversaire restant, c'est le libéralisme économique. «Il n'est pas facile à contester parce qu'il se diffuse dans notre société à tous les niveaux. L'Eglise a toujours lutté contre ce libéralisme économique, comme elle a lutté contre le socialisme, mais actuellement elle a beaucoup plus de peine à se faire entendre dans ce monde qui semble soumis à une seule idéologie triomphante», explique M. Python.

Et le professeur d'ajouter: «Aujourd'hui, on critique la société libérale, mais on a très peu de prise sur elle. Les mouvements sociaux, les syndicats, sont plutôt dans le registre de la dénonciation. Mais c'est très difficile de construire un autre ordre social ou d'autres structures sociales face au rouleau compresseur du libéralisme.» PFY

Dernière modification de cette page : 17.03.2014