Programme Interdisciplinaire d'Etudes Catholiques

Samedi 22 mars 2003 La Liberté p. 12 Par Monique Durussel

Ce Christ, qui apparaît en filigrane de l'œuvre littéraire de Balzac

UNIVERSITE • Balzac était-il catholique ? Dans le courant romantique, l'écrivain s'est distingué par une religiosité instinctive, une exaltation de la charité et de la bonté.

En ouvrant un cycle de conférences centrées sur le Christ dans la littérature, l'art et la musique romantique (La Liberté du 15 mars 2003), le professeur Guy Bedouelle analyse la religiosité de Balzac (1799-1850) et sa perception du Christ. Selon le professeur d'histoire de l'Eglise à l'Université de Fribourg, le début du XIXe siècle est une période charnière du processus de séparation entre le Christ et son Eglise. Un processus qui s'illustre dans les arts. Balzac a par exemple, dans son œuvre, de belle figures de prêtres alors qu'il se méfie de l'Eglise. La qualité de sa religiosité a intéressé le professeur Bedouelle.

Crucifixion de Raphaël
Dans l'œuvre de Balzac, le Christ n'est décrit concrètement qu'une seule fois dans "Peau de chagrin", au travers de l'évocation d'une Crucifixion de Raphaël (ici, en 1502-1503) NATIONAL GALLERY. Londres

« La Comédie humaine est un pendant social et contemporain de la Divine Comédie »

La vie de l'écrivain peut se partager en deux tranches. Tout d'abord le Balzac irréligieux de 1799 à 1829. Ensuite le Balzac religieux de 1830 à 1850. Eduqué dans l'esprit des Lumières, le jeune Balzac développe une sorte de voltérianisme doublé d'un idéal philosophique de l'idée divine. Entre correspondance et œuvres, Guy Bedouelle constate que la grande question métaphysique que se posa Balzac était de savoir si la pensée est puissance physique ou si la matière est spirituelle. L'écrivain va, à l'instar du maître des philosophes Victor Cousin, qui régna sur la Sorbonne, et dont il suivit les cours, admettre l'existence d'une religion immanente sans idée de révélation.

Les rencontres d'Honoré de Balzac ont une influence sur cet esprit curieux et influençable. Alors que Balzac échange avec l'ancien abbé de cour de Villers, Mmc de Berny, son premier grand amour, et Zulma Carraud, une amie voltairienne, l'anti-cléricalisme est très présent dans l'œuvre de l'écrivain. On y trouve des phrases telles que « le clergé chrétien est incapable de remplir la sublime fonction du sacerdoce ».

Par le biais de la nature, émerge cependant chez Balzac un véritable sentiment religieux. D'ailleurs. Balzac écrit un traité de la prière « qui n'est pas très catholique », remarque Guy Bedouelle « puisque Balzac y parle d'une révélation primitive dont les religions sont des débris ». Avançant en maturité, Balzac émet l'idée que le christianisme est à la base de l'ordre social. Il écrit alors que « le repentir catholique est un apport à la civilisation » dans son avant-propos de la Comédie humaine, lorsque, en 1842, il décide d'organiser son œuvre sous ce titre générique. Balzac ajoute que « l'unique religion possible est le christianisme qui a créé les peuples modernes et les conservera ».

L'avocat du catholisisme !

Balzac est choqué par l'anticléricalisme profanateur de la révolution de 1830. Il voit dans la mise à sac de l'église de Saint-Germain l'Auxerrois en 1831, une atteinte au principe religieux. Il n'adhère cependant pas encore au catholicisme, mais le respecte, relève Guy Bedouelle. Il a une âme religieuse, mais pas encore un sentiment religieux. De cette époque datent deux textes qui empruntent au romantisme : L'Eglise (1830), une vision étrange de cathédrale qui éclate, et Jésus-Christ en Flandres (1831), où il évoque le sauvetage d'un bateau avec la transposition d'épisodes évangéliques.

En 1831, Balzac rencontre la comtesse Ewelina Hanska, l'amour de sa vie. Polonaise très catholique, elle lui écrit : « La religion nous sépare. » En 1840, Balzac écrit à son tour : « Je ne suis point orthodoxe. Je ne crois point en l'Eglise romaine. » Et en 1842, il se dit « politiquement de la religion catholique, de l'église mystique, la seule qui ait conservé la vraie doctrine ». L'évolution est significative.

La foi du charbonnier

Les trois grandes œuvres qui contiennent sa pensée religieuse sont Séraphita (1840), Louis Lambert (1846) et L'envers de la société contemporaine (1848). Balzac estime la foi d'autant plus opérante qu'elle appartient à l'instinct. Ses personnages sont des gens simples. Il se méfie de la théologie et lui préfère la révélation primitive. « C'est un christianisme sans Christ » sauf lorsque Balzac décrit une crucifixion de Raphaël dans Peau de chagrin. En revanche, le repentir est, dès 1842, exprimé par toute une série de personnages. « C'est l'Evangile en action », dit Balzac. L'idée du sacrifice est importante dans l'œuvre de Balzac. Sa religion personnelle s'appuie sur une relation réelle avec le monde angélique. Balzac considère que le catholicisme est une forme transitoire de l'idée religieuse et scrute les mystères, la Providence et les dogmes en termes d'émotion. I1 montre l'utilité sociale du culte et fait également peu de cas des sacrements, sauf le pardon et la réconciliation. « La Comédie humaine est un pendant social et contemporain de la Divine Comédie où le catholicisme joue un rôle de révélateur de la charité », conclut Guy Bedouelle.

MDL

Dernière modification de cette page : 18.06.2005